Ecriture Passion par Patrick

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LE PERREUX

Quand nous allons au Perreux, chez pépère et mémère « du Perreux », ça pue ! Beurk ! C’est sale partout !

Mémère est toute petite et toute voûtée avec des moustaches mais elle est gentille ! Elle ne nous fait jamais de cadeau parce qu’elle n’a pas de sous mais elle nous donne des gâteaux !

Pépère est sale ! C’est un fainéant. Il n’a jamais travaillé ! Il boit du vin et fume tout le temps ! Papa lui donne des cigarettes quand il y va avec nous. Maman nous oblige à l’embrasser mais c‘est dégoûtant ! Il a toujours la goutte au nez et il respire de la poudre marron !

 

Ce fabuleux grand-père, ce personnage, est en fait issu d’une famille bourgeoise du Perreux. Ces parents avaient un commerce de mercerie (au petit Paris ) et habitaient une propriété avenue du château, dans le parc du Perreux.

Lorsque son père est décédé, sa mère a épousé en deuxièmes noces son beau frère, c'est-à-dire le frère de son mari ! Ainsi, n’a-t-elle pas changé de nom !

Mon grand père, élevé dans la soie, n’avait qu’une seule idée en tête : « faire » l’artiste !

Cette orientation déplaisait fortement à ses parents car, à l’époque, la réussite des enfants était ailleurs ! Notaire, avocat etc.…… et, traditionnellement, un fils militaire et un fils curé !

Il était fils unique. Il se laissait donc vivre dans cette insouciance, jusqu’au jour ou il « engrossa » la bonne à tout faire ! L’oisiveté est donc bien la mère de tous les vices dirait ma mère !

Honte, scandale et éjection rapide du cocon familial !

La bonne en question était de l’assistance publique! Ce fût elle ma grand-mère ! Et elle travailla comme une damnée pour élever les quatre enfants que cet inconscient lui fit !

Inconscient ? Sûrement pas tant que ça !

A force de remarques, de critiques et d’insistance de son entourage, il consentit un jour à aller travailler en usine, comme manutentionnaire. Et quand je dis un jour, je veux bien dire UN jour ! Ce premier jour, il se laissa tomber une lourde caisse sur le bout du pied ! Orteils sectionnés ! Pension d’invalidité !

Quelqu’un a-t-il une quelconque remarque à faire à cet invalide du travail ??

A  partir de là, il vécu son rêve d’artiste, enfin presque !

Mon grand père jouait d’à peu près tous les instruments de façon innée ! Il avait en plus des talents de chanteur et de comédien ! Tout pour faire un homme de cabaret à l’époque ! Et c’est ce qu’il fit ! Oh, bien sur, pas dans les salles parisiennes, non, mais plutôt sans les salles de cinéma de banlieue, en « américaine » juste avant le film. Chansons, sketches, illusion, claquettes etc.….

Il se faisait payer en liquide ! En vrai liquide ! En vin en général avec le repas en plus !

Son nom de scène ? Le Grand JACUS ! J’ai vu une affiche de lui avant que ma grand-mère ne brûle tout ! Smoking, redingote et chapeau claque ! La classe !!

Je ne peux pas m’attarder sur ce personnage car, à lui seul, il ferait l’objet d’un livre ! Je peux juste vous dire que lorsque mon grand père chantait « mon vieux pataud », cette chanson réaliste et dramatique de 1934, crée par Berthe Sylva, il tirait les larmes aux yeux à tous ! Et l’on se lamentait sur le sort de ce pauvre chien à travers la voix tremblotante à souhait de l’artiste !

En voici le texte intégral ! Et en le relisant, je revois ce foutu comédien malicieux, alcoolique et fainéant certes, lâche et irresponsable, certes ! Mais………chapeau l’artiste ! Je ne t’oublierai pas !

 

Rouillé perclus courbé sur son bâton de chêne
Quand Butaud l'braconnier dut r'noncer à l'affût
Bien qu'on ne l'aimât guère vu son âge et sa gène
Au bureau d'Bienfaisance tout d'même on l'secourut
Au cabaret jamais on ne le voyait boire
Il passait fier avec son chien causant quéqu'fois
Pour dire que l'assistance étant obligatoire
C'est sans honte qu'il touchait son s'cours au bout d'chaque mois
Puis il sifflait son chien allons mon vieux Pataud
Et tous deux s'en allaient le vieux parlant tout haut

Mon vieux Pataud toi qu'est qu'une bête
T'es bien meilleur que certaines gens
T'as pas deux sous d'malice en tête
Quand tu veux mordre on voit tes dents
Tandis qu'les hommes bêtes à deux pattes
Sous des sourires cachant leurs crocs
A l'instant même où ça vous flatte
Ça vous mang'rait cœur et boyaux
Personne nous deux Pataud n'a pu nous humilier
Moi j'n'ai jamais eu d'maître et toi t'as pas d'collier

Un jour comme il sortait du bureau d'Bienfaisance
Il salua m'sieur l'maire qui dit bonjour Butaud
Tiens c'est à toi c'chien là oui dit l'vieux sans méfiance
Un' brav' bête presqu'aussi vieille qu'moi n'est ce pas Pataud
J'comprends répondit l'maire c'est un ancien complice
On s'aime pardi seul'ment Butaud moi j'te préviens
Entre tes s'scours et ton cabot faut qu'tu choisisses
L'argent des indigents n'est pas fait pour les chiens
Et comme le vieux n'voulait en faire qu'à sa tête
On résolut d'comprendre mieux qu'lui ses intérêts
Un soir donc lâchement on tira sur la bête
Qui toute sanglante vint s'étendre auprès des ch'nets
Alors le vieux Butaud saisit sa cartouchière
Il arma son fusil en grondant assassins
Mais Pataud fit entendre une plainte légère
Et le vieux en pleurant se pencha sur son chien
Et comme la bête semblait lui dire achève-moi
Le bonhomme à genoux fit un signe de croix

Mon vieux Pataud nous sommes trop bêtes
Pour comprendr' quéqu'chose à la loi
Finissons en la charge est prête
Un coup pour toi un coup pour moi
Pataud on va partir ensemble
Au pays d'où qu'personn' ne r'vient
Mon Dieu mon Dieu tout d'même j'en tremble
Pardonn' moi Pataud tiens toi bien
Et c'est comme ça qu'l'on vit doucement dans les cieux
Monter l'âme d'un chien avec l'âme d'un gueux



11/11/2011
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